“C’EST TRÈS DIFFICILE, MAIS IL FAUT VIVRE QUAND MÊME."
- thaismoreau
- 28 janv. 2022
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Dernière mise à jour : 28 févr. 2024
(PORTRAIT REALISE POUR LE JOURNAL ETUDIANT CIRCONFLEX MAG )
Fazal*, derrière ce sourire timide se cache la double vie d’un jeune étudiant afghan en architecture, réfugié politique qui se bat pour revoir sa mère et ses frères et sœurs restés en Afghanistan.
Fazal, réfugié politique afghan en France s’assoit à la table, souriant, et ne tarde pas à raconter son histoire. Avec son intense regard noir, c’est seulement son accent qui le distingue des Lillois qui rentrent du travail. Ce jeune homme de vingt-trois ans, d'une maturité et d’une humilité frappantes, détaille sa vie d’étudiant à l’école d’architecture de Villeneuve d'Ascq avec confiance. Paradoxalement, Fazal est aussi méfiant, il regarde autour de lui, chuchote de temps à autre lorsqu’il évoque son passé en Afghanistan. Il a « beaucoup de choses à dire.» Comme s’il avait besoin de retirer un poids de ses épaules.
Gérer sa vie d’étudiant, son passé tragique et les démarches pour espérer revoir sa famille est « compliqué » pour Fazal. C’est le seul mot péjoratif qu’il répétera à plusieurs reprises lors de l’entretien plutôt que de se plaindre, de manifester sa tristesse, sa fatigue ou encore sa colère. Comme si le jeune afghan n’avait pas le droit d’exprimer sa douleur.
Cela fait maintenant quatre ans que Fazal a fui son pays pour s’installer en France. Quatre ans que son père a été assassiné par les talibans. Quatre ans qu’il n’a pas revu sa mère, médecin, qui se cache des talibans avec les frères et sœurs de Fazal. Aux dernières nouvelles, ils se trouvaient dans la capitale à Kaboul, mais cela change constamment, explique-t-il.
Pour Fazal, l’urgence est de faire rapatrier ses frères et sœurs de dix-sept, treize et sept ans : « Le danger c’est mes frères et sœurs, en plus ils sont petits, ils ont besoin d’une éducation, ils ont besoin d’apprendre (…) s’ils vont à l’école il y a que des charias, des cours coraniques, ça ne sert à rien d’aller à l’école ».
Depuis quatre ans, c’est l’espoir de rapatrier sa famille en France qui anime Fazal: « Lorsqu’il faisait les démarches, il était plus positif, mais depuis qu’il a reçu une réponse négative il perd un peu espoir », raconte l’une de ses camarades de classe.
Les démarches sont très compliquées pour la demande de rapprochement familial. « Je ne sais pas comment ça marche, je n’ai pas tout donné, parce qu’il y a les cours (…) si je fais ça il faut que j’abandonne les cours et si je ne vais pas en cours ça va être de pire en pire ». Fazal insiste sur ses études : elles “me changent les idées. Quand je vais à l’école d’archi je ne réfléchis pas à ma vie privée, je n’en parle jamais ».
« Je voulais être un homme pour aider des gens »
Alors âgé de dix sept ans, originaire de la ville de Mazar -r-sharif dans le nord de l’Afghanistan, Fazal était étudiant en économie à Kaboul. L’élève brillant marchait sur les pas de son père et se prédestinait à une carrière politique. En parallèle, la photographie et l’architecture étaient ses passions. Il raconte qu’à seulement quatorze ans il dessina le plan du premier étage de leur maison familiale qu’il perfectionna et construisit ensuite avec son père.
Le jeune Fazal de dix-sept ans voulait « être un homme pour aider des gens » souligne t- il. Il détaille la vie d’un personnage important de l’histoire de l’Afghanistan qu’il admire, le commandant du Front uni islamique et national pour le salut de l'Afghanistan, Ahmed Chah Massoud. Lui aussi, passionné d’architecture, s’est finalement tourné vers une carrière de politicien et de défenseur des libertés de son pays, à l’époque en guerre contre l’URSS et les talibans. Malheureusement c’est peu après avoir alarmé la France sur les menaces des talibans qu’il est assassiné le neuf septembre 2001, quelques jours avant les attentats du onze septembre. Fazal respecte le combat du commandant, d’autant plus que son père, ministre, travaillait avec lui depuis plus de dix ans.
Lorsqu'il lui est demandé pourquoi il a fui l’Afghanistan, Fazal répond : « C’est une bonne question, c’est la question principale ». Il baisse d’un ton et raconte le jour qui changea le cours de sa vie : « Un jour ma mère m’appelle : il faut que tu viennes, nous organisons une grande fête ». Il rentre alors chez ses parents et découvre que ce sont en fait les funérailles de son père, assassiné deux jours plus tôt par les talibans.
Fazal n’en dit pas plus sur les raisons de cet assassinat, il souhaite avant tout protéger sa mère encore en Afghanistan. Il ajoute simplement que ce fut un « moment très difficile pour moi et pour ma famille ». Étant le fils aîné de la famille et étudiant en économie dans une école prestigieuse de Kaboul, c’est à ce moment-là « qu’une semaine après, ma mère décide qu’il faut que je quitte le pays ». Fazal reste stoïque et ne laisse paraître aucune émotion : « J’étais content avec mes amis, d’un seul coup je tourne la page.» A dix-sept ans, « je ne me rendais pas compte de tout cela ».
Après quatre mois de fuite clandestine, Fazal arrive en France et décide d’y rester: « Quand je suis arrivé en France, j’ai dit que je voulais rester ici, j’aimais bien, j’étais tellement fatigué, j’avais passé beaucoup de pays », premier semblant de plainte du jeune homme. Ses parents avaient plusieurs contacts en Europe pour l’héberger, mais Fazal choisit la France, qu’il surnommera par la suite « son deuxième pays ».
Après une première et une terminale françaises au lycée Maurice Duhamel à Loos près de Lille, Fazal obtient son bac mention très bien option bâtiment. Sachant qu’à son arrivée en France, il ne savait « même pas dire bonjour ». Son adaptabilité et son humilité sont presque déstabilisantes.
Force, courage et retenue, c'est la vie de Fazal. Mais les rêves, les ambitions et la jeunesse de ce garçon de vingt-trois ans ont été volés. Sans jamais baisser les bras, Fazal essaie de mener de front ses études, son petit job pour les financer et les démarches administratives pour espérer revoir sa famille. Évidemment, il a de profondes blessures liées à la mort de son père et aux menaces que subit sa mère. Il n’est ni triste ni en colère contre ceux qui ont enlevé son père et volé la liberté de son pays. Mais il est exténué par les sacrifices qui s’imposent à lui, déchiré entre son pays, sa famille et ses études.
À l’évocation d’une potentielle colère, Fazal rétorque avec une sagesse et une lucidité sidérantes: « Ce n’est pas une question d’être en colère, je ne suis pas en colère contre les talibans car qui sont les talibans déjà? Comment ont-ils réussi à prendre l’Afghanistan comme cela? C’est impossible. En fait c’est à cause des autres pays, à chaque fois la guerre c’est en Afghanistan. (...) Avec l’évacuation tu ne peux pas sauver le pays, il faut trouver une solution», confie-t-il. « Il n’y a pas que moi, il y a des gens, des amis qui étaient là-bas. La question il faut trouver une solution pour les gens qui vivent là-bas, il y a des bonnes personnes. »
Fazal pense à son peuple et est très inquiet pour la jeunesse afghane: « On ne parle jamais dans les médias sur les morts des attentats ». Il perd espoir : « le monde je crois qu’ils ont tourné le dos à l’Afghanistan. Franchement il y a des familles qui sont en danger, il y a des enfants, qu’est-ce qu’on fait d’eux ? Avant j’avais des projets, pourquoi pas construire une école en Afghanistan pour aider des enfants, parce qu’il y a des enfants de dix ans, c’est triste, qui travaillent et qui ne vont pas à l’école. Ils ont besoin d'aide, et aujourd’hui avec la situation qui a changé c’est impossible. » Si Fazal souhaite retourner en Afghanistan ce n’est pas pour se battre mais «pour faire quelque chose de bien, un geste » précise t-il.
« Pendant un an ils ont pris mon pays et ma vie, peut être que cela changera demain (...) je vis toujours comme ça (…) peut-être dans une semaine je vais aller dans un autre pays pour accueillir ma famille, je ne sais pas encore ».
« C’est difficile, je pense à eux, à mes parents, mes frères et sœurs, et je vis comme ça. C’est très difficile, mais il faut vivre quand même ».
S’il n’avait pas fait aussi froid, il serait resté, conclut t-il, car il a « beaucoup de choses à dire.»
Thaïs Moreau
* Le prénom a été changé pour des raisons de confidentialité




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